29 avril 2020

Article
Montpellier, le 29 avril 2020
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C’était un peu comme un Dimanche, un Dimanche qui n’en finirait pas, chaque jour assez semblable. Quelquefois la ressemblance était telle que je ne savais quel jour on était.Habituellement il y a un bruit permanent, un fond sonore fait d’accélération de voitures, de conversations, d’enfants allant à l’école, de rumeur lointaine. Aujourd’hui sur un fond de silence, chaque bruit prend une ampleur singulière. Des personnes nous font participer de leur conversation privée : « il m’a dit….je lui ai dit ». Une jeune femme au téléphone s’immobilise puis traverse la chaussée de l’ombre au soleil, pendant de longues minutes avant de reprendre sa route. J’aurais pu la conseiller : un évitement du véritable engagement y compris de l’amour. Une politique jusqu’au-boutiste du confinement en ses ultimes conséquences.

Je pouvais mesurer l’occurrence de certains propos, les maisons enserrant la rue faisaient caisse de résonance. Ainsi, j’entendais le plus souvent « bon courage » venant clôturer une rencontre, une conversation.

Il en faut du courage alors que la rue nous échappe. L’homme qui sort de chez lui ne peut aller au monde, il n’a pas droit à tout l’espace qui s’offre à lui, il ne peut déambuler, baguenauder au milieu de ses semblables, flâner, bavarder, prendre l’apéritif à la terrasse d’un café. Ainsi je ne pouvais mesurer l’étendue, avoir une vision large. A défaut de choses vues, j’avais des visions et des rêves parfumés.

La sieste est ce moment délicieux à la mi-journée après le repas où le corps s’abandonne. J’ai une véritable politique de la sieste. Je suis un pratiquant, que dis-je un militant. Dans les grandes institutions internationales, les représentants japonais s’autorisent une petite sieste, leur tête reposant sur leurs bras à même le bureau. Une première ministre française soulignant leur hyperactivité les comparait à des fourmis alors que ce petit moment d’abandon était le gage de leur efficacité.

Rompant avec une telle logique il fallait revenir à une esthétique de la sieste, mesurer la durée en un seuil minimal de dix minutes et maximal de trente-cinq minutes, définir les meubles et espaces pouvant l’accueillir en sécurité. Ainsi une chaise longue, un canapé, un hamac, un fauteuil sont les lieux de prédilection en un espace silencieux. Après des années d’entraînement j’étais capable lors de réunions de travail d’enchaîner de brefs moments d’absence, des micro-siestes comme des micro-fictions de quelques minutes surtout dans les moments où un collègue avait soudainement une idée.

J’ai gardé cette méfiance des gens qui ont des idées. J’ai fait mienne la formule de Dylan Thomas : « un jour, peut-être, je penserai pluvieusement ». Je crains qu’elle ne soit d’une grande efficience mais lorsqu’on ne vit que des Dimanches, la vraie richesse réside dans le fait d’avoir le temps.

Ma sieste fut un dimanche quotidien gâchée par un bruit de scie sauteuse ou de ponceuse. Je ne pus spontanément en découvrir la provenance mais très vite, me rendant à l’épicerie, je constatai que le boulanger voisin était le coupable. Comme il faisait une pause, je l’interpellai d’un ton badin, l’assurant que son comportement était limite de la délinquance. J’attirai son attention sur les particularités ethnographiques de la région, du particularisme climatique, des coutumes locales dont la sieste est un des piliers. Sachant qu’il était de provenance exogène (la Normandie étant plus proche de l’Angleterre que de l’Espagne) je l’encourageai à accomplir une conversion,

un mouvement d’intégration et de cesser à cette heure une activité nuisible à sa santé et à ses clients potentiels.

J’étais assez content de moi, découvrant des capacités de management à mille lieues de toute mon intelligence si peu pratique. En fait je m’étais « gendarmé » comme disait ma grand-mère. Me faisant violence j’avais remis de l’ordre. Quant à lui il dut se croire dans un film de Pagnol à moins qu’il ne me rangeât définitivement dans une catégorie de lourde psychopathologie.

Je partis en murmurant ce couplet d’Erik Satie : « allons-y, chochotte, chochotte ! ». La musique savait nous accompagner.