26 Mars 2020

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Montpellier le 26 mars 2020

 

« Et spiritum adjuvat infirmatem nostram ». L’esprit peut faire son bien de la maladie même. C’est par cette citation latine que commença la journée. Ça devait venir d’une lecture récente, rien à voir avec Vatican 2 ou ma fréquentation de l’église Saint François pour écouter l’orgue ibérique. Juste une façon de se rassurer à moins que ce ne soit une tirade au Chardonnay. J’évitais le Grand Marnier et le gin tonic, pourtant la situation favorisait une alcoolisation patiente et raisonnée. Me revenaient en mémoire les dessins d’Ernest Pignon Ernest, les divines languissantes, une fornicationmystique et puis des anges collés sur la façade de la cathédrale de Montauban en hommage à Ingres.

L’isolement était propice à des divagations sur le sexe des anges, sur le sexe tout court. Les représentations des chérubins étaient souvent plus proches du Manneken-Pis mais ici pas de petit robinet, sous les plis des tissus on devinait un sexe de femme.

Ma citation latine me conduisait en des contrées fort éloignées d’une chrétienne sainteté. Ma vie amoureuse allait se limiter à faire tourner le lave-linge. Peut-être étais-je infecté par un virus frappant l’homme seul vieillissant : « le coronaVenus ». J’avais entendu ce ravissant lapsus dans une bouche féminine à laquelle j’attribuais quelque autorité sur la question. Fallait que je m’organise pour ne pas être affecté par une telle maladie !

J’étais en pyjama, c’est le genre de vêtement qu’il est difficile de porter avec légèreté et élégance bien qu’il ait ses commodités, comme, aux siècles précédents, on disait d’une maison qu’elle avait ses commodités. Quelque psychiatre avisé nous conseillait de ne pas passer nos journées en pyjama, signe d’abandon, de négligence. Me venait en mémoire les visites chez ma tante lorsque j’étais enfant le dimanche après-midi revenant de promenade avec les parents (vous souvenez-vous de l’horreur de ces promenades sur le siège arrière de la voiture où, plutôt que d’admirer le paysage nous passions nos haut-le-coeur en nous chamaillant avec frère ou sœur ?).

C’était comme un goûter. Ma tante imposante matrone nous recevait en robe de chambre ayant, pour toute concession au bon goût mis des bijoux volumineux et un rouge à lèvre incendiaire. Son mari portait aussi un peignoir sur un pyjama à liseré. Plus que la tenue c’était les murs même qui me fascinaient ; ils étaient couverts de tableaux de toutes dimensions avec une prédominance de paysages méditerranéens. C’était là pour moi une autre transgression, ce goût affirmé pour la peinture, cette accumulation loin de l’intérieur policé de mes parents où ma grand-mère faisait régner l’ordre jusque sur les murs. On nous faisait la leçon : il ne fallait pas lui parler de la visite dans un tel milieu !

Tout cela nous ramenait à la question « comment s’habiller ? » Aujourd’hui je fis le choix du confort, n’ayant ni visite ni déplacement j’allais pas m’habiller comme un notaire ou un orthodontiste. Un vieux jean et un pull feraient l’affaire pour lire et rêver. Pas de balcon aujourd’hui le temps est couvert et gris, une rue en noir et blanc comme mon esprit et mon rêve de ce matin.

Un homme pas très grand, en chapeau et moustache, en costume noir rayé et très élimé, sur une place se penche et ouvre une malle. Il sort d’abord une tête avec un chignon noir haut perché certainement en laine puis peu à peu un corps se déploie qui doit être en chiffon. Une robe de couleur foncée descendant jusqu’aux pieds dans des chaussures noires armées à leur extrémité d’une espèce de pince. L’homme la soulève délicatement, la salue, l’enlace, engage ses chaussures dans les pinces. Une musique commence de plus en plus fort, ce doit être un « corrido » mexicain ou une cumbia. L’homme se met à danser entraînant cette femme-pantin. Images sorties de la révolution mexicaine ou de « Los Olvidados »de Bunuel (je me souviens du cul-de-jatte sur son petit chariot chassé par les jets de pierres des enfants). Ce matin je n’ai pas bu du mescal dans le café comme à Oaxaca, le printemps venait après l’automne, deux cerisiers étaient en fleurs dans un jardin et « la petite sirène » tenait la caisse de l’épicerie. Le soir les couteaux dormaient dans leur sombre tiroir, tout le monde s’appelait « amor », j’allais manger des « empanadas ».

PS : empanadas : chaussons et friands à la viande ou au fromage très prisés en Amérique du Sud.