20 mars 2020

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Montpellier, le 20 mars 2020

 

La nuit dernière, le gouvernement ne m’a pas appelé comme il l’avait fait précédemment. J’avais bien dormi mais j’étais un peu dépité de cette négligence. Je ruminais un petit couplet sur le mépris des élites pour le bas peuple. Je me suis donc recouché ne cédant à aucune urgence hygiénique après un petit déjeuner ensoleillé. Même ma prostate m’avait foutu la paix.La position allongée reste la plus favorable à la lecture, exception faite pour l’approche de Spinoza. La prison, le service national, la maladie, la convalescence sont propices à cet exercice. Il en est de même aujourd’hui.

J’ai récemment acquis une méridienne, faisant preuve d’à propos pour une fois. A certains horaires, lorsque l’usage du lit peut vous faire passer pour un grand malade, elle est d’un grand secours maintenant votre buste légèrement levé, évitant un endormissement rapide. Ce matin le lit me fut fatal, malgré le café, après quelques pages de lecture de « L’état des lieux » de Richard Ford. Un livre acide et désopilant — un homme approchant de la soixantaine fait le bilan de ses différents errements conjugaux, familiaux, professionnels. Pour les amateurs il ajoute quelques considérations sur le cancer de la prostate. Voyez comme c’est marrant : « est-ce que le cancer vous rend idiot en même temps que malade ? ». Une bonne question que l’on évite soigneusement de se poser et qui provoqua chez moi un léger assoupissement après que je fus rassuré par la formule : « se raconter des conneries rend heureux ».

Je ne pus rester alité plus longtemps. J’entendais des voix. Des voix qui semblaient venir de l’extérieur, plutôt un chant dans une langue inconnue comme un lamento. Sortant sur le balcon je vis de l’autre côté de la rue, sur ma gauche à l’étage une femme entre deux âges affublée d’un grand béret rouge qui faisait des vocalises à moins que ce ne fussent des chants basques. Je la saluai et elle s’interrompit pour me dire une phrase du genre : « faut en profiter ». Je n’osai la détromper mais fis spontanément un pas de recul. Quelque temps après, alors que j’étais en cuisine à faire griller quelque steak de biche gracieusement offert par ma sœur, je me souvins d’un disque étonnant des années 1980 de Cathy Berberian, grande chanteuse d’opéra américaine (pour votre érudition : 1928-1983). “The many voices of Cathy Berberian” où elle chante des œuvres aussi variées que Monteverdi, Debussy, Gershwin, les Beattles et surtout Stripsody. Comme son nom l’indique il s’agit d’un striptease vocal où elle excelle dans une variation très étendue de ce que l’on pourrait prendre pour des cris et chuchotements, vocalises teintées d’une grande sensibilité et d’humour.

M’étant confortablement installé sur mon balcon avec une chilienne (chaise longue) et un repose-pied je m’attelai à une autre lecture dont le seul titre pourrait vous déprimer (premier chapitre : le camp de Rivesaltes). Mon regard s’échappait , flottait sur la rue. Pas de créatures, mais un passant d’un âge indéterminé promenant son chien, un animal ridicule de type chihuahua ou rat des villes tenu en laisse d’une main alors que de l’autre il téléphonait. La conversation demandant une certaine application voire une pointe d’irritation de sa main libre il gesticulait, oubliant que l’animal au bout de la laisse faisait des pointes et de temps à autre décollait du sol, objet d’une certaine strangulation. Je tentai d’attirer son attention mais en vain.

A ce deuxième jour, je sentais tout de même une aggravation de quelques pratiques compulsives certains les jugeant même excessives. Me penchant à ma fenêtre je constatai beaucoup de linge étendu, de nombreuses lessives. A une fenêtre, une jeune femme agitait un chiffon. Un court instant je crus qu’elle me faisait signe, lançait un signal de détresse. Je dus me rendre à l’évidence elle avait fait la poussière. Mimétisme, vacuité ou conscience morale je me suis mis au ménage, assuré cette fois que nul ne viendrait souiller le bel ouvrage.