HISTOIRE DU QUARTIER MÉDITERRANÉE

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Note sur l’histoire du quartier .

  • Le quartier est en gros délimité, d’un côté par l’Avenue du Pont Juvénal et de l’autre par la rue du Pont de Lattes, et leurs alentours. Il se termine au sud du Plan Pasquier où se situent aujourd’hui la station de Tram et la Maison pour Tous Voltaire. Au nord, historiquement, il commençait en haut du triangle formé par la rue de Verdun et la rue Aristide Ollivier. Car la voie ferrée n’a pas toujours existé !
  • Jusque vers 1900 et au moins depuis le XVIème siècle, le quartier s’appelait Puech-Pinson, du nom de deux petites collines (puechs) en haut desquelles se trouvaient des aire de battage du blé.  On les perçoit encore, culminant en haut de la rue de l’Aire. Pinson était sans doute le nom d’un propriétaire des lieux. Bien d’autres rues et places ont gardé le nom de ceux qui y possédaient des propriétés : Pralon, Jaumes, de Sauvages, Girard, Laurens, Juvénal sans doute et sans oublier Henri René qui fut notamment le puissant promoteur des immeubles en rond autour de la place Carnot…
  • Depuis le Moyen-âge, le quartier était un ensemble de cultures et de jardins, propriétés de notables de la ville. Il était traversé par le ruisseau des Aiguerelles qui eut très tôt une vocation d’égout et fut progressivement canalisé, au grand dam des petites tortues cistudes qui s’y plaisaient. On lui doit, depuis 1997, la belle église des Saints-François, qui a en partie brûlé récemment, place Carnot, car le ruisseau avait ruiné les fondations de l’église précédente.
  • C’est la construction de la gare, d’une part, inaugurée en 1844 et celle de l’usine à gaz, ouverte en 1838 et qui a trôné jusque dans les années 1970 à la hauteur de l’actuelle station de tram Place Carnot, avec d’énormes gazoducs jusque sur le boulevard de Strasbourg, qui ont marqué le début d’un essor fulgurant du quartier.
  • L’activité industrielle et artisanale jusque-là très présente autour du centre ancien se reporte après 1840 dans les faubourgs Sud autour du chemin de fer nouvellement créé. Les vastes propriétés foncières du quartier deviennent le support de lotissements à vocation résidentielle. Ces opérations se réalisent au coup par coup, sans vision globale et régulatrice. Le quartier de Puech-Pinson s’édifie anarchiquement. Des ouvriers, des artisans, des commerçants, des vignerons s’y installent. Cet urbanisme sauvage est contesté dès 1847 par la Municipalité, à cause de rues trop étroites, mal dirigées, mal entretenues, mal assainies. Deux lotisseurs réalisent alors la cité Jaume à l’Ouest et la cité Laurens à l’Est du quartier. Le plan général s’ordonne sur la longue rue de la Méditerranée qui suit la courbe du relief. Les rues secondaires, toutes privées, redescendent de part et d’autre de cette ligne de crête. La municipalisation des voies du quartier sera longue et tumultueuse pour ne s’achever que vers 1900. La première crèche de Montpellier (1872) puis des écoles et plus tard « le cours complémentaire Cambon » sont  apparus progressivement autour du site de l’école Jules Simon.
  • Tout le côté droit en descendant la rue du Pont de Lattes et jusqu’au beau « cimetière des protestants » ouvert en 1808, s’étendait l’immense domaine du couvent des Franciscains, appelés aussi Cordeliers ou Frères mineurs, dont il ne reste plus qu’un morceau de l’une de ses reconstructions : le Rockstore, qui fut une église puis un temple (1821), une imprimerie (1870) un garage (1903) un cinéma (1927) une boîte de nuit (1979). Il est possible que Saint-François d’Assises ait lui-même choisi en 1213 l’emplacement de ce couvent qui souffrit beaucoup des guerres de religion (détruit en 1562, reconstruit après 1572, détruit à nouveau en 1621, modestement rebâti ensuite).
  • La rue du Pont de Lattes servit aussi de frontière, des origines de Montpellier, vers 985, jusqu’à l’intégration de la ville au royaume de France. D’abord de frontière entre la partie de Montpellier qui avait été cédée aux Guilhem, les premiers seigneurs de la ville, et la partie, appelée Montpelliéret, dont les évêques de Maguelone gardèrent jalousement le contrôle, jusqu’en 1255. La rue servit aussi de frontière entre le Royaume de France et celui des rois d’Aragon quand l’un d’eux, Pierre II, épousa en 1204 Marie de Montpellier, la dernière des Guilhem et jusqu’en 1349 quand Jacques III de Majorque vendit au roi de France la seigneurie de ses ancêtres aragonais .
  • Une portalière est ce que l’on appellerait aujourd’hui un check-point : un point de surveillance et de contrôle des entrées d’une ville. Au XIIIème siècle, on en compta plus d’une quinzaine autour de Montpellier. il y en avait deux dans le quartier : celle « d’Esquiras » et celle « du Lez ». La première prenait place sur le chemin de Lattes à la hauteur du haut de l’actuel arrêt de tram Place Carnot. La seconde, sur le chemin du pont Juvénal, à hauteur du pont de Lattes, sur le tracé de l’actuelle voie ferrée Sncf.
  • Août 1361. En cette année de peste et en pleine Guerre de cent ans, Bertrucat d’Albret et son cousin Bérard d’Albret, alliés des Anglais, unissent leurs compagnies de « routiers », cavaliers et fantassins, appelés plus tard « écorcheurs », pour attaquer Montpellier à partir de notre quartier. Ces bandes sont composées de mercenaires, anciens soldats anglais ou français démobilisés suite au Traité dit de Brétigny de 1360, qui ouvrit une trêve dans la Guerre de cent ans. Les combats devant les remparts de Montpellier durent quatre jours. Les portalières sont défaites et le couvent des Frères mineurs est envahi et sert de poste de commandement aux envahisseurs. La Palissade qui protège théoriquement les faubourgs et la « commune clôture », les remparts de la ville, sont endommagés. Après leur reflux, les attaquants seront pourchassés et beaucoup seront pendus, décapités ou écartelés.
  • La fontaine ou « font » de Lattes se situait autrefois au milieu des vignes, vers l’entrée principale de l’actuel cimetière protestant, près de l’arrêt de tram Place Carnot. Dès 1284, on signale auprès d’elle l’existence d’un reclusoir : une petite bâtisse où des femmes surtout et des hommes parfois, se faisaient enfermer seuls, volontairement, se retiraient du monde pour sauver leur âme et se rapprocher de Dieu. Les reclus étaient sous la garde des consuls de Montpellier. Les recluses et les reclus étaient admirés et populaires. Ils étaient souvent consultés par la population qui leur faisait la charité, au travers de la fenêtre du reclusoir et parfois sur leur testament. Ils étaient plus mal vus des autorités ecclésiastiques en raison de leur indépendance et du caractère incontrôlable de ces laïques entrées en religion sans avoir prononcé de « vœux perpétuels ». La plus célèbre recluse de Montpellier fut Catherine Sauve. Arrivée à Montpellier en novembre 1416, elle demande à entrer au reclusoir de la fontaine de Lattes. Une procession géante, plus de 1500 personnes, l’y installe le 15 novembre. Mais Catherine Sauve ne reste que onze mois recluse. En octobre 1417, accusée de menées hérétiques et de maints blasphèmes, elle est traînée devant le tribunal de l’Inquisition. Elle est publiquement condamnée au bûcher et, le même jour, brûlée au lieudit « Col de fin », près du pont de Castelnau, sur le Lez. Cette exécution expéditive suscite des remous dans la population.
  • Incroyable mais vrai. En 1846, Jules Pagézy, avant qu’il soit maire de Montpellier en 1852, proposa  de creuser un port, relié au Lez par un canal, toujours rue du Pont de Lattes, à hauteur de l’usine à gaz.
  • Autre artère historique du quartier, l’avenue du pont Juvénal qui conduisait au pont et au port éponymes. Le port Juvénal, après que les ports de Lattara, Lattes et Maguelone se soient ensablés, fut le port de Montpellier sur le Lez, canalisé au XVIIIème siècle, du Moyen-âge jusqu’au début du vingtième siècle. Des marchandises de toute la Méditerranée y arrivaient ou étaient exportées. La plupart remontaient en vile pour être transformées par artisans et industriels, via l’actuelle avenue du Pont Juvénal. En particulier les laines qui repartaient sous forme de draperies ou les épices qui devenaient parfums, le vin qui s’exportait… Jusqu’au dernier quart du vingtième siècle le chemin du pont Juvénal fut très industrieux avec des usines chimiques, d’engrais, de mécanique, de parfumerie, de biscuiterie : en particulier les parfums Monternier, rue de la Méditerranée dont, au numéro 51, une résidence récente garde en son centre, remaniée, la maison des maîtres, tandis que les derniers bâtiments de la vaste usine, ouverte en 1883, fermée dans les années 1980, ont été détruits en 2016.
  • N’oublions pas l’usine Villodève, apparue vers 1830 et disparue en 1936, avec l’orphelinat, le centre d’apprentissage et la première chapelle Dom Bosco, inaugurés vers 1900,  détruits en 1986, qui trônaient aux abords de l’actuelle place Faulquier (du nom des propriétaires de l’usine). Usine de bougies, de cierges et de savons, Villodève fut longtemps la plus grande entreprise de Montpellier avec plus de 300 salariés permanents plus des saisonniers à l’occasion des fêtes religieuses.
  • L’actuelle « Cité judiciaire » de la rue de la Méditerranée n’était autrefois qu’un terrain vague sur lequel furent dressées, de 1924 à 1926, des arènes temporaires d’été, juste en face de l’actuelle école maternelle Florian. Il y eut aussi des arènes boulevard de Strasbourg, près du cimetière des Protestants, sur un terrain appartenant à l’Usine à Gaz, de 1898 à 1899 puis de 1903 à 1908.  C’est là que se produisit la supposée « première femme toréador » française Marthe Sabatier. Ces arènes démontables ne servaient pas qu’à la tauromachie et beaucoup de spectacles et concerts s’y déroulaient.
  • Le quartier, depuis le Moyen-âge, a aussi une face plus sombre : celle de la prostitution. La construction de la voie ferrée à détruit, aux abords de l’actuelle rue Baudin, le plus grand quartier de maisons de passe de la ville qu’on appelait « la Bonne carrière ». C’est aux abords de la rue de la Méditerranée, qui s’est appelée rue Bourgoing jusqu’en 1902, rue Pralon, rue d’Alsace, rue de l’Aire que les maisons closes se sont déplacées jusqu’à leur interdiction par la loi Marthe Richard, en 1946. C’était un milieu sordide ou des mères maquerelles appelées « matrones » exploitaient des jeunes paysannes, parfois mineures, qu’elles faisaient venir d’un peu partout. Les ouvriers, les militaires, les étudiants, si nombreux à Montpellier y affluaient. Beaucoup de notables aussi qui, en plus, possédaient souvent des maisons de tolérance. Dont le fameux Pasquier qui en construisit autour du « plan » (la place) qui porte son nom. Le quartier Méditerranée, ouvrier, populaire, républicain, revendicatif fourmillait alors de cafés et de gargottes, la vie nocturene était agitée, les maladies vénériennes, la délinquance et même la criminalité y prospéraient, au point qu’on installât un dispensaire et une poste de police sur la place Jaumes.
  • La plan Pasquier fut longtemps une jolie place commerçante avec un passage à niveau et, là où est désormais la Maison pour tous Voltaire, une gare de triage appelée « le dépôt Racanié », du nom de la famille de notables qui avait cédé le terrain. Là passait, depuis 1872 et jusqu’en 1968, le célèbre « petit train de Palavas ». Il arrivait de son point de départ sur la place de la Comédie. Il avait parfois ralenti et même stoppé, les jours de matchs, à hauteur du stade de la fameuse équipe de foot du SOM (Stade Olympique Montpelliérain), championne de France en 1929. L’équipe et ses supporters avaient leurs habitudes dans un café, le Sporting bar, en bas du quai de Sauvages, à côté, là-aussi, d’un passage à niveau, avant qu’il y ait le tunnel qui passe sous les voies. Le stade se trouvait à l’emplacement de l’actuelle résidence du Nouveau monde. Antigone n’était alors qu’un ensemble de terrains d’entraîenement militaires : le Polygone. Le centre commercial de ce nom, lui, n’est apparu qu’en 1974.
  • Écrasée par les lourdes murailles de l’arrière de la gare Saint-Roch, la rue des Deux ponts n’est pas la plus sympathique du quartier. On y découvre pourtant, au numéro 27, un étonnant bâtiment historique classé aux Monuments de France par le ministère de la culture depuis 1985 : l’hôtel Lefèvre, son atelier et son parc, créés vers 1885 par l’entrepreneur de décoration, sculpteur et ornemaniste spécialisé dans le stuc et le staff : Edouard Lefèvre (1838-1921).
  • Aujourd’hui, le quartier s’est embourgeoisé et a perdu ses prostituées, son petit train, son stade, ses arènes et ses nombreux ateliers et usines mais il garde son charme, son caractère populaire, son esprit villageois, notamment grâce à l’association Mare Nostrum, ses commerces et la touche africaine qui fait depuis longtemps partie de son identité. S’y sont ajouté le street art, initié en 2003 par la fresque géante de Mad’art Place Jaumes, et un fleurissement en pleine expansion. Il fait toujours bon vivre aux alentours de la place Jaumes !

© Jean-Dominique Delaveau, avril 2025