30 mars 2020

Article
Montpellier le 30 mars 2020

 

Les premiers hommes dessinaient des animaux dans les grottes. Aujourd’hui les hommes peignent sur les murs (du street art). Je passai rue de l’ Aire et sur la façade d’une maison de ville je m’arrêtai devant l’énorme portrait en buste d’une vieille asiatique qui couvrait jusqu’au premier étage. Elle ne souriait pas vraiment sous un genre de chapeau cloche, ses traits portaient la marque du temps. Des plantes grimpant sur la façade venaient orner son chapeau comme un couronnement.C’est là qu’elle habite, je l’ai croisée plusieurs fois penchée sur son déambulateur, la démarche appliquée, encore plus petite. Au bout de la rue je n’osais l’aborder, lui dire : «je vous reconnais, c’est vous la star sur la façade ! ». Nous n’allions pas du même pas.

Je remarquai sur une maison toute proche le portrait d’une jeune femme aux cheveux longs, semblant de profil. Elle tournait la tête et nous dévisageait, nous regardait de haut. Beaucoup plus grande, plus haute sur la façade elle me semblait beaucoup moins humaine. Qui était-ce ? Je ne trouvais en elle aucun charme, son regard semblait vide sinon inquiétant. Bien qu’étant surdimensionnés, la proximité des portraits me poussait à les comparer. La vieille dame me rassurait (était-ce la promesse d’une vieillesse paisible?). J’imaginais sur chaque façade le portrait des habitants, tout le quartier orné de la sorte, des jeunes, des vieux, des enfants et quelques chiens et chats.

Il y avait déjà en face chez moi un portrait en pied de Miles Davis à hauteur d’homme. Il tenait dans une main un cœur et dans l’autre sa trompette. Il nous dévisageait et avait l’air surpris de nous trouver là. Je regrettais qu’il n’y habite pas. Me revenaient les images d’un concert dans les arènes de Nîmes par une nuit d’été. Nous étions transportés, tellement transportés que nous ne savions plus au sortir où était garée la voiture. En ce temps-là, il y avait quelque chose de la fumée des cigarettes dans notre égarement. La musique n’était pas partie en quelques nuages vaporeux.

Tournant dans la rue de Barcelone, je changeai de trottoir pour découvrir une fresque sur toute la hauteur d’une façade aveugle. Une espèce de robot géant se déplaçait dans un paysage de campagne. Science-fiction, il ne me parlait pas, mon regard s’arrêtait juste en bas à gauche sur un pan de paysage. Des collines où se détachaient quelques alignements de cyprès. Je n’en doutais pas, c’était le terroir de Saint-Christol, il manquait juste un domaine viticole.

Plus loin en descendant deux portes de garage identiques. Sur l’une, un lion allongé tel qu’il est représenté habituellement la tête haute. Sur la porte voisine, une lionne dans la même posture. Deux animaux assez tranquilles plus proches du dessin car faits de points blancs sur fond noir. On s’était interrogé sur les peintures rupestres et leur signification. Etait-ce pour conjurer la peur ?

Détournant mon regard je découvrais à côté un bâtiment moderne, le tribunal d’instance, anodin, propre sur lui, pas de peinture murale. Je retournai vers mon domicile.

Au fil des jours cela ressemblait à une promenade de grand malade ou de convalescent. Je levai la tête, il y avait en face une maison flanquée d’une partie plus haute, une tour percée en son sommet de divers trous, un pigeonnier. Mon imagination flottait, il me semblait avoir vu un cadran solaire et son ombilic dressé en son milieu. Il était temps de rentrer.

J’évitai de passer devant le portrait de Chet Baker assis, plié en deux, murmurant dans sa trompette un couplet de « My funny Valentine ». Une petite vague de bonheur me conduisit jusqu’à ma table où m’attendait un livre pour un autre voyage.

Je ne l’avais pas choisi comme un chasseur poursuivant un gibier. Il était réapparu dans la chute d’une pile de livres. Une vieille édition que j’avais empruntée il y a quelque temps sans savoir de quoi il était l’annonce. C’était « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre venu du début du XIXe siècle. Bien qu’il eût voyagé de Chambéry à Saint-Pétersbourg, de Naples à Paris, dans sa chambre aucun obstacle ne pouvait l’arrêter. Il suivait gaiement son imagination : « nous la suivrons partout où elle nous conduira ». Ce n’était pas un parcours en ligne droite, il s’arrêtait au fauteuil pour la méditation, le lit devenait « un meuble délicieux… il nous voit naître et mourir », il devisait sur l’âme et la bête qui est en nous, les heures glissaient sur lui et « tombent en silence dans l’éternité, sans nous faire sentir leur triste passage ».

Voilà qui nous ouvrait à quelque optimisme. Je me ravisai, le voyage avait duré quarante-deux jours. Avant l’Apocalypse il fallait durer, tendre à persévérer, « s’habiller aujourd’hui de soie et d’amour » (Pasolini).